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La régionalisation de l’espace mondial : en Amérique latine que reste-t-il de l’utopie bolivarienne ?

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L’espace sud-américain constitue à plusieurs égards un véritable laboratoire d’intégration régionale. Cela s’explique notamment par l’ancienneté de la décolonisation du continent, près d’un siècle avant le continent africain, qui a suscité une volonté de rapprochement politique et économique des nouveaux États affranchis de la tutelle des puissances européennes. Le mythe de l’intégration régionale parait en ce sens aussi ancien que la création du continent, et est constitutif de son identité. Simon Bolivar propose ainsi dès l’indépendance des pays de la région en 1822 la création d’une confédération perpétuelle propose aux gouvernements du Mexique, du Pérou, du Chili et de Buenos Aires. Malgré la conférence de 1826 visant à en définir les modalités, ce projet ne se concrétisa pas. Suite à cela, les tensions entre les pays et les guerres, essentiellement frontalières, minent l’intégration et l’unité du continent. Parallèlement, les États Unis ont pu renforcer leur influence dans cet espace qu’il considère comme son « backyard ». La définition de la doctrine Monroe illustre particulièrement cette représentation géopolitique. La création de l’Organisation des Etats américaines (OEA, 1948) met en exergue le caractère stratégique de cet espace pour les Etats Unis. Si cette organisation n’appartient pas strictement à la classification des organisations d’intégration régionale telles que définies par B. Balassa (1), sa vocation politique et géopolitique en font un élément structurant de l’espace sud-américain, malgré les interrogations sur sa pertinence.

Néanmoins à partir des années 1960, les intégrations régionales se développent de façon plus active comme à l’exemple du Marché commun centraméricain (MCCA, 1960) ou encore de la Communauté Andine des Nations (CAN, 1969) ou l’ALADI créé en 1973. La carte illustre l’ancienneté et la pluralité de ces dynamiques de regroupement. En effet, si le MCCA revêt des aspects plus économiques que politiques, le CARICOM et l’ALADI se veulent des organisations à vocation double, politique et économique. Des institutions telles que la Cour de justice caribéenne, de nombreux conseils et comités ainsi que des harmonisations administratives (passeport) se développent, à l’image de l’intégration européenne. La création du MERCOSUR à partir de 1991 témoigne d’une volonté d’intégration plus importante du cône sud du continent, dans une logique là encore plus économique puisqu’il s’agit d’un marché commun. En parallèle, le développement d’organisations telles que l’ALENA regroupant le Canada, le Mexique et les Etats-Unis met en avant l’importance de regroupements économiques permettant de dynamiser l’économie (maquilladoras mexicains, débouchés économiques pour les Etats-Unis). Le projet de Zone de Libre Échange des Amériques, lui aussi économique, revêt par sa large intégration un aspect plus stratégique. Rejeté par de nombreux pays d’Amérique latine et vu comme une poursuite de la domination américaine sur le continent, il n’a pas abouti à ce jour.

Vers un plus grand réalisme ou de plus grandes fragmentations internes ?

Face à ces deux dynamiques, une vision moins empreinte de l’idéal bolivarien semble émerger ces dernières années. Conscients le d’échec des projets d’intégration précédents les pays d’Amérique latine paraissent rechercher de nouvelles alliances, plus pertinentes économiquement à l’image de l’Alliance du Pacifique (2012) qui mise sur sa proximité avec le continent asiatique, ou visant à rationaliser les organisations existantes, à l’image de l’UNASUR. Ces alliances n’en demeurent pas moins des stratégies géopolitiques. La CELAC, lancée en 2010 répond par exemple à une demande du Mexique offusqué par la création de l’UNASUR sur une initiative de Brasília. Cela permet «également à Mexico d’accroitre son influence en Amérique centrale. La CELAC parait néanmoins plus apte que les organisations précédentes à transcender les divergences internes au continent afin de construire un projet cohérent, comme l’illustre la gestion par une troïka de pays de sensibilités politiques différentes (Chili, Cuba, Venezuela) lors de la mise en œuvre du plan d’action de l’organisation. L’opposition de certains pays à sa substitution à l’OEA (Chili, Colombie) en limite cependant la portée. De même, l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA, 2005), si elle parait être une tentative de rapprochement de l’idée originelle de l’intégration latino-américaine, elle n’a fait qu’accroitre les divisions sur la vision du continent et de son intégration. Au regard de l’échec du MERCOSUR marqué par le protectionnisme des deux grands(Brésil et Argentine), ces nouveaux regroupements tendent à fragmenter l’espace sud-américain.

Contrairement aux alliances passées marquées, de façade au moins, par la volonté de créer une unité et une identité latine échappant à la tutelle américaine, les nouvelles dynamiques sont tributaires de l’émergence différenciée des pays de la région. Chacun semble développer des stratégies géoéconomiques et géopolitiques répondant à ses besoins dans une logique que certains observateurs qualifient de post-hégémonique et post-commerciale. Un peu plus loin du rêve bolivarien, donc.

 

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(1) L’économiste B. Balassa a défini dans son ouvrage The Theory of economic integration en 1961, une typologie des organisations d’intégration régionale en 5 étapes: zone de libre échange ; union douanière ; marché commun ; union économique et monétaire ; union politique.

Si ces catégories permettent d’apprécier l’évolution et l’approfondissement des dynamiques de regroupement régional, elle n’est pertinente que si l’on considère l’économie comme préalable à l’intégration. Cela fait sens dans la mesure où le développement de liens économiques semble plus stratégique et vital pour les pays que les engagements politiques.

 

 

 

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